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Essai sportive BSA Rocket 3 750

La moto de Dick Mann victorieuse aux Daytona 200 1971

Les 200 miles de Daytona font partie des courses mythiques où se sont illustrées des pilotes de talent au guidon de motos tout autant mythiques. C'est le cas de Dick "Bugsy" Mann, une des figures iconiques du sport moto américain de l'après-guerre, disparu le 17 avril 2021 à l'âge de 86 ans. Durant ses 20 ans de carrière à piloter au plus niveau de l'AMA de 1955 à 1974, il a personnifié la lutte acharnée d'un outsider élégant et ingénieux qui, à la manière d'un conte de fées, a fini à plusieurs reprises par remporter la victoire. Ce fut le cas en 1970 et 1971 où il s'imposa deux fois consécutives sur les mythiques 200 Miles de Daytona, au guidon d'une BSA 750 Rocket 3. Et c'est aussi la moto avec laquelle il a obtenu ce dernier succès en Californie. Un départ qui est aussi l'occasion de célébrer à la fois le pilote et sa carrière et cette moto exceptionnelle. Un essai autant historique que mythique.

Essai de la BSA Rocket 3 750
Essai de la BSA Rocket 3 750

Genèse

Piloter une moto victorieuse de course mythique est toujours une chance autant qu'un privilège. Et il faut juste être là au bon endroit au bon moment pour que la chance sourisse. Et cette chance s'est présentée en plus sur la piste rapide bien adaptée aux hauts régimes de la moto, le Canadian Tire Motorsport Park, Mosport pour les intimes, à l'occasion de la célébration du 50e anniversaire du seul et unique Grand Prix du Canada. C'était en 1967, à l'occasion du bicentenaire du pays. Il fallu alors réaliser deux challenges, le premier pour réapprendre ce circuit assez intimidant sur lequel je n'avais pas roulé depuis la manche canadienne du WorldSBK en 1990 et le second de redécouvrir l'une des machines les plus émouvantes de l'histoire des courses sur route.

Dick Mann sur sa BSA à Daytona en 1971
Dick Mann sur sa BSA à Daytona en 1971

J'avais un atout dans ma poche pour évaluer la valeur de la moto de Mann. J'ai en effet possédé une paire de BSA F750. Et j'ai notamment eu la version factory à cadre Rob North avec laquelle j'ai couru au milieu des années 80 sur des événements du Championnat du monde TT Formula 1 comme Vila Real au Portugal ou le Tourist Trophy, ainsi que sur la course TT F1 du GP britannique à Silverstone.

Alan sur la Rocket 3 lors des essais du Tourist Trophy 1984
Alan sur la Rocket 3 lors des essais du Tourist Trophy 1984

Cela m'a également rappelé la course Historic Formula 750 de 1994 à Daytona, lorsque j'ai passé 10 tours au guidon de ma Ducati 750SS à cadre vert à lutter avec la légende vivante Yvon DuHamel sur cette même moto. Je me souviens avoir suivi la BSA-3 sur le virage Tri-Oval avant de profiter du freinage supérieur des disques en fonte Brembo de la moto italienne et de leurs étriers Lockheed pour prendre Yvon au freinage dans le virage 1, avant d'être repris à l'accélération au Horseshoe par la triple Britannique au cadre racing et au vilebrequin plus léger qui permettait de monter plus rapidement dans les tours que mon plus grand et plus coupleux V-Twin desmo. Nous avons dû échanger nos places au moins une douzaine de fois en tête de cette course qui reste l'un de mes meilleurs souvenirs. Mais nous savions tous les deux que cela allait se résumer à un duel tactique lors du dernier tour. Et c'est exactement comme ça que ça s'est passé, aucun ne voulant entrer en tête dans la Chicane, sauf que j'avais un expert à affronter et il m'a poussé à faire ça. En accélérant fort le moteur de la Ducati à la sortie pour essayer de prendre de l'avance, j'ai presque réussi, sauf qu'à mesure qu'on se rapprochait de la ligne d'arrivé, j'ai entendu sur ma gauche le hurlement du maudit trois pattes anglais de plus en plus fort, jusqu'à ce que sa roue avant passe devant la mienne à quelques centaines de mètres de l'arrivée pour remporter la victoire. J'ai appris l'art de l'aspiration par un véritable expert et peut-être que la deuxième place n'était pas si mauvaise dans de telles circonstances.

Alan sur sa Ducati 750 SS à Daytona en 1994
Alan sur sa Ducati 750 SS à Daytona en 1994

Découverte

En développant le trois cylindres en ligne T150 OHV pour ses débuts en AMA road racing en 1970, Doug Hele et ses hommes du département racing de Meriden se sont appuyés sur leur expérience acquise avec le bicylindre 500 de la société, qui avait gagné deux fois à Daytona en 1966 et 67 et avait montré de belles choses en GP 500. Le trois cylindres stock de 741 cm3 (67 x 70 mm) consistait ici essentiellement à l'ajout d'un cylindre supplémentaire sur le côté droit du twin OHV de Triumph.

La BSA Rocket 3 750 de Mann
La BSA Rocket 3 750 de Mann

Dans un premier temps, ils ont poussé la capacité du moteur de 741 à 765 cm3 comme l'autorisait le règlement AMA via un suralésage maximal de 0,04 pouces, qui permettait en théorie de percer et de réutiliser un cylindre endommagé. Cela impliquait de revoir le revêtement en acier à 68 x 70 mm pour accueillir les pistons moulés haute compression de 11:1 et montés sur des bielles en aluminium avec un capuchon en acier. Ceux-ci ont été montés sur un vilebrequin à 120 degrés soigneusement allégé, avec l'entrainement primaire à chaîne d'origine conservé, associé à une boite de vitesses Quaife à cinq rapports rapprochés remplaçant les 4 rapports d'origine.

Le moteur 3 cylindres repose ici sur l'ajout d'un cylindre au twin Triumph
Le moteur 3 cylindres repose ici sur l'ajout d'un cylindre au twin Triumph

Les cames TH6 développées pour la 1re fois en 1968 pour le twin de 500 GPont été utilisées avec des culbuteurs à plus grand rayon, les culasses d'origine équipées de sièges de soupapes plus résistants et les volumes de chambre de combustion adaptés. Trois carburateurs Amal GP de 30 mm à simple chambre séparée ont été initialement choisis pour assurer plus de puissance à plein régime. L'allumage était assuré via un système spécial de Lucas avec un alternateur alimentant des disjoncteurs à distance sans avoir besoin d'une batterie lourde et avec les trois bobines montées dans un support adjacent à la distribution. Le système d'échappement 3-en-1 utilisait un long mégaphone mesurant 100 mm de large à la sortie, un système conçu par Hele lui-même et qui permis de gagner 4 à 5 chevaux. Le moteur ainsi préparé affichait alors 81 ch à 8.200 tr/min au vilebrequin.

Dans cette configuration, le trois pattes délivre 81 chevaux
Dans cette configuration, le trois pattes délivre 81 chevaux

Le fabricant de cadres Rob North était en charge de la conception et de la fabrication du châssis dans son atelier de Bedworth, à 16 km de l'usine Triumph, sur la base d'un desgin précédemment créé en collaboration avec l'essayeur Triumph Percy Tait. Le cadre duplex en acier chrome-moly soudé au bronze en résultant était associé à une fourche télescopique Triumph modifiée de 33.3 mm avec des étriers de frein intégrés. En raison d'une erreur avec un prototype de composant du châssis qui lui avait été fourni par inadvertance, la première série de cadres North de 1970 présentait un angle de chasse plus serré de 26°. En 1971 il fut rétabli à 28° avec une traînée de 121 mm. Couplé à un bras oscillant en acier et deux amortisseurs Girling, l'empattement affichait 1.450 mm et une répartition à 50/50 des 180 kg sans carburant.

C'est le spécialiste du genre Rob North qui s'est occupé de concevoir le cadre
C'est le spécialiste du genre Rob North qui s'est occupé de concevoir le cadre

En 1970, les motos étaient dotées d'un tambour avant en magnésium de 250 mm à 4 cames et d'un simple disque en acier arrière de 254 mm qui s'est avéré être un élément de la voiture Triumph Herald. Pour 71, le tambour Fontana fut remplacé par deux disques Lockheed supplémentaires et la tête de fourche fut abaissée de 51 mm pour une meilleure répartition du poids.

Cela a également réduit la surface frontale pour obtenir plus de vitesse et élargi la fourche pour laisser la place aux freins à disque. Le châssis a ainsi gagné en poids, avec 16 kg de moins sur la balance. Les premières tentatives d'utiliser les disques en aluminium Pagehilm pour réduire le poids non suspendu ont été avortées après des cas de surchauffe sous les freinages brutaux typiques de ceux que l'on rencontre à Daytona. Il ont été remplacés par des disques en fonte similaire à ceux de l'arrière après que Hailwood ait eu la chance de survivre à un accident causé par cette surchauffe. Ce furent les premières sportives d'usine à n'utiliser que des freins à disque. Leur rivale Honda CR750 avait un tambour à l'arrière et les Benelli 250, pionnières en 1965, n'en portaient qu'à l'avant.

Le tambour cède sa place a des disques Lockheed
Le tambour cède sa place a des disques Lockheed

Outre les changements de freins et le nouveau cadre, 1971 introduit d'autres améliorations sur le moteur et l'allumage pour porter la puissance à 84 chevaux à 8.500 tr/min. Les carburateurs ont été remplacés par des Amal Mk1 de 30 mm réalésés par le Team Obsolete à 31 mm sur la moto de Mann. On notait également la présence de moyeux de roue en titane. Le titane n'était ici pas légal, mais avec des supports en fer montés à l'intérieur, les moyeux ont passé les inspections de l'AMA qui consistait alors à poser un aimant...

La BSA Rocket 3 750 du Team Obsolete
La BSA Rocket 3 750 du Team Obsolete

En selle

Quiconque a eu la chance de piloter une Rocket 3 de course ne peut oublier l'expérience et surtout à quel point cette merveilleuse note d'échappement est mélodique, aussi bien depuis la selle que du bord de piste, surtout si l'échappement 3-en-1 est dépourvu de silencieux comme ici. Piloter la Mann BSA à Mosport a fait remonter les souvenirs. Monter à bord nécessite cependant une certaine contorsion, car comme sur toutes les motos à cadre Rob North, les repose-pieds de ce châssis Wenco presque identique sont très hauts. Une fois en place on découvre que l'assise est finalement assez basse et les genoux très pliés. Confortable, elle ne l'est pas, assurément.

La moto est loin d'être un modèle confort avec une position de conduite étriquée
La moto est loin d'être un modèle confort avec une position de conduite étriquée

Essai

On se sent un peut coincé sur place, comme je m'en souviens sur mes propres motos, avec ce gros réservoir Daytona à deux bouchons sur lesquels vient se poser sa poitrine pendant que l'on essaie de cacher son casque derrière la bulle à la recherche du peu de vitesse qu'il reste encore à tirer de ce moteur. Mettez ces genoux derrière le carénage plat et posez-vous la question de la raison pour laquelle vous n'avez pas retiré ces sliders inutiles pour piloter cette moto tout en vous délectant du hurlement obsédant, mais céleste du mégaphone ouvert alors que vous pousser le trois pattes sur chaque vitesse jusqu'à ce que le compteur Kröber affiche les 7.800 tr/min idéaux pour le changement de rapport. Savourez alors la manière dont il chute d'une octave ou deux lorsque l'on passe sur la vitesse supérieure d'un coup de pied droit. Le paradis !

Le trois cylindres fait immédiatement entendre son hurlement
Le trois cylindres fait immédiatement entendre son hurlement

Ce moteur aux caractéristiques d'usine semble plus long dans les tours et pas aussi vif que le plus rapide de mes deux Rocket 3, mais avec plus de couple à mi-régime, ce qui rend payant le fait de le monter dans les tours. Pourtant, il est également plus souple et tolérant avec une puissance linaire dès 4.000 tours/minutes et juste un peu de rugosité autour de 5.000 tours. Mais il a plus de puissance maximale, donc même en changeant de rapport à 7.800 tr/min, je suis toujours dans la partie supérieure de la plage de puissance, grâce aux rapports bien réglés sur la boîte à cinq vitesses Quaife du Team Obsolete. Cela signifie qu'on peut également laisser le régime descendre assez bas en sortant du virage Moss en épingle et être récompensé par une reprise douce et implacable sur la ligne droite Mario Andretti.

Le moteur offre plus de couple à mi-régime mais se montre moins vif que sur d'autres Rocket
Le moteur offre plus de couple à mi-régime mais se montre moins vif que sur d'autres Rocket

Mais il provoque des vibrations dans le guidon de la BSA à haut régime, après que le moteur dépasse la barre des 6.000 tours. Je me souviens que, sur mes motos, j'avais installé des poignées en mousse plus épaisses pour lutter contre ça, parce qu'après une course longue comme à Vila Real ou au TT mes mains étaient enflées par les vibrations. C'est dommage que l'ancienne moto de Dick Man n'ait pas ses fameuses poignées blanches, j'avais hâte de les saisir !

A haut régime, les vibrations qui remontent dans le guidon se montrent vite énervante
A haut régime, les vibrations qui remontent dans le guidon se montrent vite énervante

Le moteur BSA semble incroyablement moderne pour un deux soupapes à culbuteur de l'ère vintage, propre mais coupleux, rapide et musical, avec une courbe de puissance complètement linaire. Ainsi, même si elle est très élevée au maximum, elle ne se fait pas au détriment d'une alimentation hasardeuse plus bas. Le moteur BSA aime tourner au-dessus de 6.000 tr/min, mais il reprend tout de même proprement en troisième à 5.000 en sortie du virage Québec. Et la façon dont il prend si facilement ses tours trahit le travail réalisé pour réduire l'inertie à l'intérieur. Sa facilité à monter en régime impose de rapidement enclencher ce levier de vitesse pour passer un nouveau rapport.

Conclusion

Les trois cylindres BSA/Triumph sont à juste titre entrés dans l'histoire comme l'expression ultime de l'ingénierie de course britannique à l'ancienne, avant l'avènement des Norton Rotaries et des Moto2 Triumph de nouvelle génération. Ma plongée dans mes souvenirs procurée par la BSA Rocket 3 de Dick Mann n'a fait que confirmer ça, avec un accompagnement aigu, mais mélodique caractéristique. Est-ce la moto de course à la meilleure sonorité jamais construite ? Peut-être. C'est assurément le cas d'une machine dont le moteur est dérivé de la série !

La BSA 750 restera comme l'un des chef-d'oeuvre britannique de la compétition moto
La BSA 750 restera comme l'un des chef-d'oeuvre britannique de la compétition moto

Points forts

  • Sonorité inimitable
  • Puissance
  • Souplesse du moteur

Points faibles

  • Ergonomie
  • Vibrations

La fiche technique de la BSA Rocket 3 de Dick Mann